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Verbe sans frontières

 

Le Liban est un pays où l’on est porté à la parole. On y parle même un peu trop, surtout en matière de politique, et tout cela ne vole pas toujours très haut. C’est certes là le méchant revers d’une médaille que nous envient la quasi-totalité de nos voisins, proches et moins proches : la liberté d’expression. Mais avec notre obstination à casser tous nos joujoux, à commencer par nos institutions démocratiques, on a du mal à la reconnaître parfois.

S’il est question ici de gâchis médiatique, c’est que l’actualité le commande, et cela à plus d’un titre. Une chaîne de télévision locale comparaît ce moment devant le Tribunal spécial pour le Liban traitant de l’assassinat de Rafic Hariri ; outre les classiques effets de manche déployés par la défense, l’évènement donne lieu, ici et là, à des plaidoyers enflammés sur le caractère sacro-saint de la liberté d’information. La solidarité professionnelle, c’est bien beau, et il n’est guère aisé pour les membres de la corporation d’y faillir. Il reste qu’entre autres chefs d’accusation, ladite chaîne se voit reprocher d’avoir mis en péril la vie de plusieurs témoins à charge en diffusant leurs initiales, assorties parfois de leurs portraits et même de leurs adresses et numéros de téléphone. Que les confrères me pardonnent, mais vie d’homme pèse considérablement plus lourd qu’un scoop : d’autant que celui-ci n’en était pas vraiment un.

Eux aussi, les représentants diplomatiques étrangers parlent un peu trop au Liban, et pas seulement quand ils sont assaillis par les journalistes au terme de quelque réunion officielle. En début de semaine, l’ambassadeur d’Arabie saoudite répondait vertement au chef du Hezbollah qui, se découvrant une admiration sans bornes pour les rebelles houthis du Yémen, avait dénoncé avec véhémence l’opération Tempête de la fermeté conduite dans ce pays par le royaume wahhabite.

Hier, Hassan Nasrallah revenait à la charge et doublait la mise, accusant l’Arabie de tous les maux de la terre et vantant, par contraste, les vertus bien connues de démocratie, de modération et de rectitude dont se pare la République islamique d’Iran. Il s’attirait aussitôt une cinglante réplique du leader du courant du Futur. C’est dire que l’acerbe partie de ping-pong a toutes les chances de se poursuivre : partie disputée à plusieurs mains en fait, puisque, dans l’intervalle, c’est l’ambassade d’Iran qui s’en prenait, sans le nommer, au ministre de l’Intérieur : qui, lui, était monté au créneau pour entonner un hymne à la gloire de l’Arabie.

Après la Syrie, c’est dans une nouvelle, et tout aussi vénéneuse, pomme de discorde que mordent avec appétit les parties libanaises. Il fut un temps où l’on disait du Liban en guerre qu’il était pris en otage par ces deux monstres froids que sont Israël et le régime baassiste de Damas. La guerre est finie, mais c’est une autre paire de tenailles qui a pris le relais.

Deux théocraties, la wahhabite et la persane, aux prises dans un pays ne pouvant vivre ou survivre qu’à l’ombre du pluralisme : qui l’eût imaginé ?