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C’est fou ce que peut faire une caméra télé. Prenez n’importe quel député, qu’il soit brillant, bardé de diplômes, charmeur… ou plus communément neuneu, limite mutant grave et incontinent contrarié… Placez devant lui l’objectif magique, et voilà qu’il s’agite comme le gnome dont on titille le fion dans la pub pour piles électriques.
La grand-messe du débat de confiance, sous la houlette féérique du Grand-Duc de Berry de Aïn el-Tiné et de ses dépendances, n’aura pas échappé ainsi aux clichés classiques : langue de bois débitée en sciures de cèdre, index relevé comme Diogène quand il énonçait sa théorie sur le ballon sonde, rires gras et curetage de nez ramenant un ongle chargé de dépôts fossilisés… La caméra est impitoyable.
Comme il se doit, le débat au Parlement a inspiré quelques puissants commentaires du genre : « Le Liban vit sur un volcan, mais s’en sortira », ou « L’ennemi israélien est tapi aux frontières », ou encore « Le scrutin proportionnel est indispensable à notre bonheur ». Autre baragouin inédit : « Le complot mondial ourdi contre le pays ne passera pas. » Ne pas négliger non plus les pensées profondes du genre : « Faut augmenter les recettes et diminuer les dépenses » – ce qui ne mange pas de pain – sans oublier le très original « État de droit et des institutions ».
Bref, une longue journée de logorrhée, à coup de 10 minutes par trombine parlementaire. Dix minutes, c’est trop long quand on n’a rien à dire ! Le manant qui reluquait ce cirque à la télé avait comme l’impression d’une pause sur une image figée dans le temps, l’espace et la médiocrité.
Mais bien avant le cirque, il y avait eu d’abord le cinéma : pendant que ministres, députés et autres seconds couteaux politiques arrivaient en grappes éparses, le Seigneur du Futur, lui, débarquait avec force 8 sur l’échelle de Richter. Pour sa balade jusqu’au Parlement, il a mobilisé cinq bahuts 4×4 couleur de jais et quinze motards. Ne manquaient que les hélicos. À Alep, les spadassins de Vladimir Poutine étaient plus discrets…
On l’aura compris, ce débat débridé aura permis aux 92 élus prolongés deux fois de s’interroger sur ce qu’ils sont censés savoir, avec le sentiment qu’ils ne savent pas grand-chose et qu’ils ne savent pas vraiment dans combien d’années ils sauront quelque chose.
Ce qui, pour un député libanais, est déjà énorme de le savoir.