Il n’y aura pas de Conseil des ministres cette semaine. Le chef du gouvernement a pris la décision de suspendre les réunions temporairement afin d’empêcher que la décision du Courant patriotique libre de bloquer les prises de décision du cabinet tant que la question des nominations sécuritaires n’est pas réglée ne dégénère en paralysie totale de l’exécutif. Cette semaine de répit devrait permettre aux concertations en cours de mûrir, notamment les efforts menés de pair par le président de la Chambre, Nabih Berry, et le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt.
Le nouveau hier est que l’initiative des deux médiateurs centristes semble avoir incité le chef du Courant patriotique libre à déléguer le député Ibrahim Kanaan à Aïn el-Tiné. Les motifs de cette visite n’ont pas été révélés officiellement – le député se contentant d’affirmer avoir transmis au président de la Chambre le contexte de la déclaration d’intentions entre le CPL et les Forces libanaises, et débattu des « différents dossiers ». Mais l’on apprenait, de source informée, que cette rencontre a bel et bien eu pour objectif direct de trouver une solution à la nouvelle problématique qui bloque le gouvernement.
Celle-ci émane de tensions entre, d’une part, le sentiment de marginalisation ressenti par le CPL (« En réalité, nous bloquons la tentative de nous éliminer politiquement », a affirmé le ministre Élias Bou Saab à la LBCI) et, d’autre part, l’impératif de maintenir en marche les institutions. Ainsi, l’initiative de Walid Joumblatt, telle que transmise par M. Berry à son visiteur hier, serait basée sur « la nécessaire séparation, pour l’instant, entre la présidentielle, d’une part, et le fonctionnement des pouvoirs exécutif et législatif, de l’autre », rapporte une source proche de Walid Joumblatt à l’agence d’informations al-Markaziya. Selon la même source, l’équilibre consisterait ainsi à « traiter des dossiers urgents sous le thème de la législation de nécessité, tout en concédant certains points propres à satisfaire le général Michel Aoun et apaiser son sentiment d’être lésé ».
L’objectif de l’initiative de Walid Joumblatt, à travers les contacts qu’il mène actuellement avec les différentes parties, serait d’empêcher la paralysie institutionnelle intégrale.
Ce risque a augmenté depuis que le général Aoun, soutenu hier par le vice-secrétaire général du Hezbollah, Naïm Kassem, appelle à une mobilisation populaire dont la mise en œuvre et l’étendue demeurent incertaines.
Toujours dans la perspective de contrer l’immobilisme qui serait fatal pour les institutions, le « Groupe de concertation » (qui réunit les ministres indépendants sous l’égide des présidents Amine Gemayel et Michel Sleiman) multiplie ses efforts, mais dans le sens d’un équilibre entre la marche des institutions et la question de la présidence.
Ainsi, le ministre Boutros Harb s’est rendu hier au Grand Sérail, où il s’est solidarisé avec le Premier ministre pour ce qui est du « besoin urgent de tenir des réunions ministérielles ». Il lui a transmis la teneur de la dernière réunion du groupe, la semaine dernière, ayant refusé « les tentatives de certains ministres d’imposer des clauses en dehors de l’ordre du jour du Conseil des ministres, sous peine de bloquer le cabinet ».
Notons que l’ambassadeur des États-Unis, David Hale, faisait partie des visiteurs du Grand Sérail hier.
Dans une déclaration, la ministre Alice Chaptini a réaffirmé pour sa part la solidarité du groupe de concertation avec le Premier ministre. Elle a précisé en outre que ce groupe « ne réclamera pas une modification du mécanisme actuel de prise de décision au sein du cabinet ».
Kassem : Soit Aoun est élu, soit le Liban n’aura pas de président
Par la voix de son secrétaire général adjoint, Naïm Kassem, le Hezbollah a fait savoir hier sans ambages que le Liban n’aura pas de président à moins que son allié chrétien, le chef du Courant patriotique libre (CPL), Michel Aoun, ne soit élu à la tête de l’État.
« La situation est claire : ou bien le général Aoun est élu à la présidence de la République, ou bien le dossier de la présidentielle sera ajourné sine die et Dieu seul sait pour combien de temps », a-t-il dit lors d’une cérémonie dans la Békaa pour le lancement de projets municipaux de la région. S’adressant au 14 Mars, il a poursuivi : « Vous avez intérêt à ce que votre choix se porte sur le général Aoun parce qu’il est prêt à donner des assurances, à prendre des engagements, à appliquer l’accord de Taëf et à transposer le pays vers une situation positive. »
Cheikh Kassem s’est étonné de ce que certains rejettent ce choix, soulignant qu’aucun État étranger ne pourra faire pression au niveau de ce dossier. « La solution est chez nous. Si vous optez pour le général Aoun, le Liban aura un président. Si vous continuez de le rejeter, cela signifie que vous ne voulez pas d’une solution », a-t-il encore dit à l’adresse du 14 Mars, qu’il a accusé de nouveau de prendre le parti des mouvements jihadistes.
La réponse de Fatfat
Naïm Kassem s’est attiré hier la réponse du député de Denniyé, Ahmad Fatfat, qui se trouvait à Maarab en compagnie d’une délégation du bloc du Futur (voir par ailleurs). « Le général Michel Aoun est celui qui devrait être le plus dérangé par les propos de Kassem. Si Aoun avait l’espoir de parvenir à la présidence de la République, je pense que cheikh Kassem le lui a torpillé par ses positions. Je souhaite que le général Aoun réponde à cheikh Kassem et lui dise qu’il est en faveur d’une présidence libérée des conditions du Hezbollah, qui sont fixées par l’Iran », a affirmé M. Fatfat.
« Nous ne pouvons accepter qu’une seule partie bloque le Conseil des ministres et impose ses conditions aux Libanais. Si nous acceptons la logique de blocage maintenant, nous serons contraints d’accepter le blocage à tous les niveaux, ce qui est catégoriquement inacceptable », a poursuivi M. Fatfat. « Nous refusons l’atteinte aux prérogatives de la première présidence, tout comme nous refusons l’atteinte aux prérogatives du Premier ministre. Nous avons une seule revendication : que tout le monde se rende à la Chambre pour élire un président en toute démocratie. Ce que cheikh Kassem souhaite, c’est une nomination. Mais ils n’auront pas nos signatures, quelles que soient les menaces et les armes qu’ils utilisent », a-t-il conclu.