Que peut le Net contre des barils bourrés de TNT, largués sur des civils sans défense ? Certes, pas un niet. Et combien ridicules paraissent, malgré la gouaille populaire qui les inspire, les lazzis d’une population qui a choisi le rire, arme des désespérés, pour cracher sa haine du tyran. Au soir de ce funeste mardi 3 juin 2014 – une journée à marquer d’une dalle funéraire que l’on placera sur la tombe des ultimes vestiges d’une démocratie depuis des décennies absente –, quand éclatera le concert de klaxons célébrant la « victoire », le pays aux 165 000 morts, 3 millions de réfugiés et 6,5 millions de déplacés accueillera, las mais non point résigné, les chiffres de la consultation, s’interrogeant tout de même sur la provenance des voix obtenues par Bachar el-Assad.
À l’étranger aussi, des dizaines de milliers de Syriens auront voté. Dans 43 ambassades, a annoncé fièrement le gouvernement. Ce ne sont pas les Libanais, qui ont eu à pâtir des vociférantes manifestations de la semaine dernière, nées spontanément d’un irréprochable sens de la démocratie, qui le démentiront. La foultitude d’oppositions, quant à elles, ont lancé un mot d’ordre de boycottage puisqu’elles ne pouvaient faire autrement : les urnes étaient notoirement absentes dans les régions (soit la majeure partie du territoire) contrôlées par les divers groupes hostiles au régime baassiste. Hostiles aussi les uns aux autres au point de perdre leur temps à s’entre-tuer au lieu de s’en prendre à l’ennemi commun. Mais aussi comment ne pas voir la main de ce dernier, habile à jouer sur les contradictions, à noyauter les mouvements faussement islamistes, à leur agiter sous le nez le hochet du pillage et des trafics de toute sorte, sans parler des vierges de l’au-delà ?
L’Occident a opté pour le ricanement, la Chine pour la réserve, la Russie pour la langue de bois et le reste du monde pour l’indifférence. Puis chacun a détourné les yeux, convaincu d’avoir fait ce qu’il fallait pour sauver, croit-il, l’humanité d’une débâcle, encore une, alors même que se poursuit l’inexorable agonie de la Syrie. « Une farce », a jugé, sévère, John Kerry. « Une parodie grotesque de la démocratie », a dit le Foreign Office. « Bachar el-Assad ne représente pas l’avenir du peuple syrien », a décrété le Quai d’Orsay. Et quand bien même cela serait une farce, une parodie, un déni de représentativité, de tels jugements, aussi sévères qu’ils se veulent, ne sauraient changer la face assadienne de la Syrie. Le régime s’enorgueillit d’ores et déjà de pouvoir ajouter quelques années supplémentaire aux quatorze déjà passées à la tête de l’État par le fils de Hafez el-Assad, lui-même champion toutes catégories avec un score de trois décennies.
Dans une bataille qui n’en était pas une, nul ne se hasardera à dire que l’homme d’affaires Hassan al-Nouri et l’avocat Mahjer al-Hajjar se sont vaillamment battus, comme la chèvre de M. Seguin. Pressés de questions, ils en viendraient plutôt à convenir n’avoir servi que de faire-valoir – même pas de sparring-partners – dans une parodie de consultation populaire.
Certes, il ne sert à rien de relire l’histoire en l’agrémentant de quelques « si » et de beaucoup de « mais », de s’interroger sur le cours qu’auraient pris les événements n’était-ce la violente et injustifiable répression de la révolte de Deraa et l’obstination de l’entourage du chef de l’État et n’y voir qu’une péripétie ne méritant même pas que l’on s’y arrête. Près d’un demi-siècle d’exercice du pouvoir favorise l’apparition d’une carapace qui frappe celui qui le détient de surdité autant que d’insensibilité. Il y a aussi la certitude, qui finit par convaincre celui qui assène le slogan, que tout ce que l’on fait est pour le bien du peuple. Ben voyons… De mémoire d’homme, on n’a jamais vu un potentat reconnaître qu’en servant ses vassaux, il ne fait que se servir lui-même. « L’État, c’est moi », disait le Roi-Soleil. Et, plus brutal, Charles Wilson, alors PDG du groupe, décrétait en 1953 que ce qui est bon pour le pays est bon pour General Motors, ajoutant : « Et vice versa. » Ces deux derniers mots devraient donner à réfléchir à plus d’un.
Présidentielle en Syrie et en Égypte, législatives en Irak, passation des pouvoirs il y a peu au Yémen… La démocratie est en marche et rien ne semble devoir ou vouloir l’arrêter. Ce n’est pas Barack Obama qui dira le contraire, lui qui vient d’affirmer : « Ce n’est pas parce que nous disposons du meilleur marteau que tout problème représente un clou. » C’est un (faux) maître charpentier qui vous le dit.