Si fantasmagorique est-elle qu’on n’épiloguera jamais assez sur la question de Palmyre, ce trésor archéologique gravement menacé aujourd’hui par les vandales de Daech.
Sur les sinistres antécédents irakiens d’un fascisme se réclamant mensongèrement de l’islam, il est superflu de revenir. On notera cependant que même la barbarie hitlérienne, celle des camps de la mort et autres horreurs, a fait preuve, le plus souvent, d’un surprenant respect pour les monuments historiques et les œuvres d’art que recelaient les pays conquis. Les nazis n’ont pas saccagé les musées, ils les ont pillés avant d’expédier leur faramineux butin en Allemagne. Et même quand, dans un de ses ultimes accès de démence, un Adolf Hitler aux abois a ordonné que soit réduite en cendres la Ville Lumière (Paris brûle-t-il ?), il n’a pas été obéi.
Face aux hordes sauvages du faux calife Omar al-Baghdadi, c’est la sanguinaire armée de Bachar el-Assad qui fait figure, aujourd’hui, de providentielle cavalerie caracolant au secours de la culture en péril. Là n’est pas l’aspect le moins triste de toute cette affaire. Car les splendeurs de Palmyre, la dictature baassiste en a toujours fait un singulier usage. Le petit terrain d’aviation laissé par les Français du mandat ? Réaménagé en superbase militaire, plutôt qu’en aéroport touristique desservant ce site fabuleux. Les casernes évacuées ? Transformées en une des prisons les plus effroyables qu’ait pu concevoir la cruauté (in)humaine, du moment qu’y était impitoyablement pratiquée la torture. Les pensionnaires de ces lieux ? Les adversaires du régime, pour la plupart des islamistes.
Plus fort, plus terrifiant qu’Abou Ghraib et Guantanamo : toujours est-il que dans la conscience collective des Syriens, ce n’est pas la culture, mais l’horreur, qu’évoque le nom de Tadmor. Là, en effet, un certain jour de juin 1980, les Brigades de défense du colonel Rifaat el-Assad massacraient d’un coup, dans leurs cellules et dortoirs, plus d’un millier de détenus, au lendemain d’un attentat manqué contre son président de frère, Hafez el-Assad.
Plus fort, cette fois, que Machiavel : les islamistes embastillés et torturés peuvent devenir aussi d’irremplaçables instruments de subversion, une fois lâchés dans la nature. Au Liban pour commencer, avec la bande du tristement célèbre Chaker el-Absi émergeant de la prison pour se retrancher des mois durant, et jusqu’au dernier homme, dans le chaudron de Nahr el-Bared ; en Syrie même par la suite, ce qui permettait à Bachar, en butte à une vaste rébellion populaire, de se poser en rempart de laïcité face aux furieux assauts de l’extrémisme religieux.
Le régime Assad, un moindre mal tout compte fait, un gage de survie pour les minorités religieuses ? Les amis du tyran diront ce qu’ils voudront pour accréditer l’imposture. Ce qu’ils ne pourront jamais vendre en revanche, c’est la fallacieuse image d’un phare de civilisation, d’un protecteur du patrimoine national. Les vieilles pierres, on n’en a que f… quand c’est tout un pays que l’on réduit à l’état de ruines. La population en dessous.