IMLebanon

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Gouverner, c’est prévoir, dit le dicton populaire. C’est aussi faire preuve de clairvoyance. Autant de vertus qui ont fait gravement défaut dans la gestion du dossier des déchets domestiques. À tel point qu’un pôle politique a relevé, non sans une profonde amertume, et en ayant recours à une cruelle métaphore, que lorsque que le pays a atteint l’échéance du 17 juillet, l’on a découvert avec effarement qu’il n’y avait pas de pilote dans l’avion…
Le problème de la décharge de Naamé avait commencé à se poser avec fracas en janvier 2014. Un an plus tard, le gouvernement approuvait un plan national de gestion des déchets et fixait au 17 juillet la date-charnière de la fermeture de la décharge. Depuis, plusieurs voix s’étaient élevées pour mettre en garde contre une catastrophe qui pointait inéluctablement à l’horizon.
Dans l’attente que le plan national global se concrétise dans la réalité – en tenant compte des imbrications politiques et financières –, la logique la plus élémentaire imposait que des mesures pratiques soient prises pour mettre en place une solution de substitution rapide et temporaire à la fermeture de Naamé. Une vaste campagne de sensibilisation à l’importance du tri à la source, impliquant les municipalités, aurait pu, à titre d’exemple, être organisée entre janvier et juillet. L’option de l’exportation aurait pu aussi être prospectée et préparée, parallèlement au tri, pour que l’échéance du 17 juillet ne prenne pas tout le monde de court.
Ces mesures de substitution transitoires nécessitaient simplement un esprit d’initiative, une détermination, un effort d’organisation, afin que, dans l’attente que se décante le partage du gâteau, le pays ne ploie pas sous les déchets. Mais le pilote était absent…
La critique est aisée, nous dira-t-on… Les magouilles politico-financières visant à s’arracher des contrats particulièrement juteux ont, à l’évidence, rendu complexe la gestion du dossier. À cet égard, les responsabilités sont largement partagées, comme l’a souligné lui-même le ministre Mohammad Machnouk. Il reste que rien ne saurait justifier que le département de l’Environnement, principal concerné dans cette affaire, n’ait planifié aucune mesure pragmatique pour éviter de renvoyer, du jour au lendemain, la balle du traitement des déchets aux municipalités alors que celles-ci n’ont absolument pas l’infrastructure ni les moyens adéquats pour faire face à une telle situation et se trouvent donc contraintes d’improviser des solutions à la va-vite.
Parallèlement, la propension des principales factions politiques à vouloir se réserver une part de ce marché devrait-elle nécessairement impliquer que la population doit en venir à être dégoûtée de circuler dans les rues ? Certes, nous ne sommes pas dans une République de Platon. Nous ne sommes même pas dans un simple État de droit. Nul n’ignore qu’entretenir un leadership politique ou un parti nécessite des fonds importants. Dans les pays développés, l’État contribue au financement des partis, en fonction des résultats aux élections législatives. Au Liban, nous en sommes très loin. D’où l’empressement des factions politiques à n’épargner aucun moyen pour s’assurer des rentrées substantielles et durables, sans se soucier des conséquences possibles. L’on chuchote, ainsi, en coulisses, que la crise actuelle des déchets est due à la volonté de trois grandes formations politiques, n’appartenant pas au même bord, d’imposer à chaud le recours aux incinérateurs. Il ne serait pas superflu de relever à ce propos que l’actuelle ministre française de l’Écologie, Ségolène Royale, a souligné à plusieurs reprises sa farouche opposition au choix des incinérateurs. Ses raisons ne sont certainement pas d’ordre mercantile…
Réalisme oblige : on ne peut faire assumer au ministre concerné le poids des magouilles entre pôles d’influence. Mais l’on ne peut s’empêcher, par contre, de déplorer le manque total de clairvoyance et d’esprit d’initiative dans la gestion de ce dossier. On ne peut, de même, reprocher aux grandes formations de chercher des moyens de financement solides. Mais cela justifie-t-il pour autant que ces formations peuvent se permettre de traiter la population avec mépris en faisant fi de ses droits à une vie digne et saine, loin des rongeurs et des risques d’épidémie ?