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Zahlé, une bataille charnière qui gagne tous les jours en fièvre

 

C’est une bataille électorale charnière que le caza de Zahlé, également baptisé circonscription de la Békaa I, se prépare à mener le 6 mai prochain, comme à chaque élection législative. Charnière, parce que de par sa composition politique et confessionnelle, Zahlé est en mesure de faire pencher la balance dans un sens ou dans un autre et donc de peser sur le résultat final des élections.
Cinq listes concurrentes et 32 candidats se disputent les sept sièges de Zahlé. Sept sièges répartis selon les communautés de manière suivante : deux grecs-catholiques, un grec-orthodoxe, un maronite, un arménien-orthodoxe, un chiite et un sunnite. « Zahlé pour tous » réunit le Futur, le Courant patriotique libre et le Tachnag. Le « Bloc populaire » se retrouve autour de Myriam Tok Skaff. « Zahlé notre cause » présente une alliance Forces libanaises-Kataëb. « Zahlé, la décision et le choix » met ensemble le député sortant Nicolas Fattouche et le tandem chiite Hezbollah-Amal et enfin « Tous patriotes » regroupe des candidats issus de la société civile. Quant aux députés sortants, trois d’entre eux appartiennent aux FL (Tony Bou Khater, Joseph Maalouf, Chant Chinchinian), un au parti Kataëb (Élie Marouni), deux au courant du Futur (Assem Araji, Okab Sakr) et un est indépendant (Nicolas Fattouche).

Le vote sunnite déterminant
Le nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales s’élève à 172 000 environ et compte 95 000 chrétiens et 77 000 musulmans. Si le vote chrétien est majoritaire, « réparti principalement entre pro-FL au sein la ville de Zahlé et pro-CPL dans les régions », selon une source zahliote, la répartition communautaire des électeurs montre que c’est le vote sunnite qui est le plus déterminant. Il représente 28,32 % des électeurs inscrits, mais effectivement, « près de 35 000 voix », selon des proches de candidats. Il est suivi des votes grec-catholique (18,72 %), chiite (15,96 %), maronite (15,68 %), grec-orthodoxe (9,54 %), d’autres confessions chrétiennes (5,2 %), arménien-orthodoxe (4,99 %) et autres.
Traditionnellement donc, et malgré sa majorité chrétienne, la circonscription est un réservoir de voix en faveur du courant du Futur et de la famille Hariri, les électeurs sunnites représentant le plus gros bloc communautaire dans la circonscription. Il reste à savoir où iront ces voix de réserve, et principalement le vote préférentiel. Des pronostics font part de trois sièges au moins pour la liste Futur-CPL, deux sièges pour la liste du Hezbollah-Fattouche, un siège pour la liste FL-Kataëb et un siège pour la liste de Myriam Tok Skaff. Mais d’autres soutiennent ferme que « cette dernière n’a aucune chance, pas plus que M. Fattouche », que « les FL-Kataeb aspirent à deux, voire trois sièges ». Chose que nous ne saurons qu’à l’issue du scrutin, sur base des calculs liés au coefficient électoral. Quoi qu’il en soit, le tandem FL-Kataëb risque gros dans cette bataille. Réussira-t-il à récupérer ses 4 sièges ?
Avant de se pencher sur les forces et les faiblesses de chaque liste, il est important de partir d’une réalité liée à la nouvelle loi électorale, au ras-le-bol des citoyens aussi. « Le malaise des candidats, qui fait qu’aucun n’est sûr de remporter la victoire », avoue un aspirant à la députation qui tient à préserver l’anonymat. Il évoque alors la crainte d’un « vote sanction » suite à la crise des déchets et son épilogue en queue de poisson, « d’un taux élevé d’abstention » de la part des Beyrouthins d’adoption. Il met en valeur « le désir de changement » des votants, sachant que « le clientélisme règne » toujours en maître absolu. Il fait part aussi de la « féroce bataille entre les candidats d’une même liste pour le vote préférentiel », « d’accusations d’achats de voix »…

Futur-CPL, ce nouveau partenariat
Le nouveau partenariat Futur-CPL, « Zahlé pour tous », a visiblement le vent en poupe. Non seulement il compte des ténors de la coalition des deux partis, Assem Araji, député sortant sunnite du courant du Futur, Salim Aoun, maronite, du CPL et Nizar Dalloul, chiite, du Futur. Mais cette liste a intégré Assaad Nakad, grec-orthodoxe, président d’Électricité de Zahlé, qui jouit d’une notoriété certaine pour avoir assuré à Zahlé du courant électrique 24 heures sur 24, de même qu’une candidate arménienne-orthodoxe, Marie-Jeanne Bilezikjian, pharmacienne, militante pour les droits de la femme. Une femme « soutenue par le Tachnag, dans le cadre d’un troc entre le courant du Futur et le parti arménien, à Beyrouth I et Zahlé », révèle une source de Zahlé. La faiblesse de cette liste ? « Sa représentation grecque-catholique. »
La liste « Zahlé, la décision et le choix » qui regroupe le député sortant Nicolas Fattouche et le tandem chiite Hezbollah-Amal bénéficie d’un point fort : le candidat chiite Anouar Jemaa qui raflera sans aucun doute l’ensemble des voix chiites. Ces électeurs pourraient aussi favoriser l’allié grec-catholique du tandem, Nicolas Fattouche. Mais leurs voix risquent de ne pas suffire, compte tenu que trois autres candidats grecs-catholiques se distinguent aussi et se disputent âprement les deux sièges consacrés à leur communauté, Georges Okais, des FL, Myriam Tok Skaff et Michel Daher, du CPL, mais « dans une moindre mesure pour ce dernier », note un observateur de Zahlé. « La bataille grecque-catholique promet d’être particulièrement intéressante. »
Face à ces deux blocs, la liste FL-Kataëb, « Zahlé notre cause », assure que sa « force n’est pas négligeable, sans pour autant minimiser l’importance de ses adversaires ». Selon une source proche de la liste, deux candidats sortent du lot et pourraient fort obtenir leur billet pour l’hémicycle le 6 mai prochain : Georges Okais, candidat grec-catholique des FL, et Kayssar Maalouf, grec-orthodoxe. Quant au candidat Kataëb Élie Marouni, il est « visiblement dans une situation délicate », estime une source zahliote proche de la liste. « Cela fait 9 ans qu’il est député. Il a été deux fois ministres et fait à présent l’objet d’un refus populaire. » Un refus lié notamment à « ses propos sur le viol », jugés insultants à l’égard des femmes. « Mais un retournement de situation n’est pas impossible. »

La société civile et le besoin de changement
Les Kataëb ne tirent pas pour autant leur épingle du jeu. Au sein de la liste « Bloc populaire » formée par Myriam Tok Skaff, un maronite, Paul Charbel, serait « très proche du parti », selon cette même source. Chef du département de cardiologie à l’Hôpital orthodoxe, neveu de l’ancien député Kataëb Georges Akl, le candidat est à la fois « respecté et apprécié ». « Il pourrait même représenter un danger pour Salim Aoun. »
C’est dans cet état des lieux que tente de jouer des coudes la liste « Tous patriotes » de la campagne « Koullouna watani » issue de la société civile. Après avoir démarré sa campagne avec douceur sur les réseaux sociaux, elle devrait se faire plus agressive, la semaine prochaine. « Apparemment la plus faible », selon un proche des candidats, cette liste incomplète « tire sa force de plusieurs facteurs : du besoin de changement des électeurs et du rejet d’une classe politique qui a perdu de sa crédibilité ; de listes partisanes comportant des candidats au passé douteux ; de la respectabilité des candidats de la liste. » Parmi ces candidats, une représentante grecque-orthodoxe du parti des Verts, Vanda Chédid, mais aussi un candidat sunnite, Houd el-Taaïmy, susceptible de recueillir le vote des électeurs naturalisés du village de Faour, qui vivent dans l’extrême pauvreté, malgré les promesses électorales. Également au sein de la liste, un médecin, Ghassan Maalouf, qui a longtemps travaillé dans l’humanitaire.
À un mois du scrutin, rien n’est encore joué. Une seule chose est sûre, la bataille ne peut que gagner en fièvre.