Ce n’est pas parce qu’un corps se meurt lentement et sûrement d’une maladie probablement incurable qu’il ne faut pas, entre-temps, réparer un os cassé, soigner une cataracte ou enlever un polype bénin. Essayer donc de soulager des douleurs annexes, de se débarrasser de quelques scories, de rayer des émotions inutiles, sans pour autant s’évertuer à vouloir guérir une métastase avec du paracétamol. Et s’en vanter.
Le corps Liban se meurt lentement et sûrement, à la fois des malédictions dont sa géographie a été la cible ; de son histoire, de ses histoires plutôt : aucune communauté ou presque ne partage ni ne revendique la même, de ses identités donc ; mais aussi de son ADN, défectueux, fin de race : des feux d’une guerre de quinze ans tellement mal éteints, des haines intercommunautaires et intersectaires parfois systémiques, une Constitution serpillière, une majorité d’élus qui ont remplacé le mot politique, au féminin comme au masculin, par le mot mafia, une vacance présidentielle béante, etc. Est-ce pour autant qu’il ne faut pas, en attendant, tenter de s’occuper d’éducation (le chantier est éléphantesque) ou de culture (quelques-uns des ministres qui se sont succédé depuis l’an 2000 ont fait ce qu’ils ont pu avec le budget rachitique qui leur a été consenti du bout des doigts), tenter de régler des questions sociétales fondamentales : violence conjugale, dépénalisation de l’homosexualité, etc., ou des problèmes de santé publique urgents : sécurité sanitaire des aliments, hôpitaux gouvernementaux, etc. ?
Alors, quand Nabih Berry le veut bien ou quand Téhéran n’a rien contre, les députés légifèrent. Souvent après que la société civile eut passé des années à
(r)éveiller les consciences.
Le code de la route 2.0 entre en vigueur le 22 avril. À la bonne heure. Talal Kassem, Hadi Gebran et Zeina Hauch, et les milliers et les milliers d’autres victimes de la route, sourient d’en haut ; leurs mères courage, leurs mères Everest, à qui l’on doit, entre autres, Kunhadi ou Road for Life, aussi. Ce code nous rapproche un peu, si peu, mais c’est déjà cela, des pays civilisés : nous conduisons tous, à un moment ou à un autre, comme des chauffards, comme des minizaïms à qui tout doit être permis, et si le sens interdit était à réinventer, nous l’aurions fait, impérialement.
Le problème, parce que, en ce Liban, il en sera probablement toujours ainsi, c’est qu’avec n’importe quel pas en avant, il y a, immanquablement, deux autres en arrière. Le code, un pavé illisible de 177 pages et 420 articles, n’est pas seulement bourré d’aberrations (les sommes récoltées par les PV n’iront pas à la réhabilitation des routes…), mais il arrive bien avant d’autres urgences : avant, justement, cette cruciale refonte et réfection des axes routiers, aujourd’hui véritable insulte à l’intelligence, aux nerfs et à la santé des Libanais ; avant le permis à points ; avant les plaques d’immatriculation intelligentes ; avant la création du comité interministériel Salam et la formation de l’unité spéciale des FSI, et avant, surtout, l’éducation civique dans les lycées.
Aussi bonnes que soient les volontés des différents gouvernements libanais et de leurs chefs, et celle de Tammam Salam est exemplaire, l’amateurisme de l’exécutif (et, naturellement, centuplé, celui de l’appareil législatif) de ce pays est un cas d’école planétaire depuis des décennies.
Surtout que bonne volonté peut facilement aller de pair avec mauvaise foi : est-ce que ce code sera appliqué sur toutes les routes du Liban, mini-États inclus, et à tous les Libanais, de la même façon ?